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Ma bouquinerie
20 juin 2022

Celle qui parle - Alicia Jaraba

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Au XIVème siècle, l'Amérique appartient encore aux civilisations ancestrales que nous connaîtrons sous le nom d'aztèques ou mayas. Et entre eux, les clans ne sont pas tendres, et les rafles en quête d'esclaves ou de sacrifices humains ne sont pas rares. C'est ainsi que Malinalli, fille d'un chef nahua et éduquée comme telle, est capturée comme esclave par un clan rival. Après avoir lutté de toutes ses forces, elle finit par se faire une raison et surtout, se trouver une utilité: elle a appris la langue des chefs. Elle peut communiquer et servir d'interprète. Et de langue en langue qu'elle apprend si rapidement, elle devient indispensable. Y compris lorsqu'un jour, de la mer, arrivent d'immenses bateaux remplis d'hommes blancs.

Ma libraire a dit: "Si vous ne devez lire qu'une BD cette année, lisez celle-là". Et quelle BD! L'originalité du sujet et du point de vue font mouche et m'ont placée face à ma propre ignorance: j'étais incapable de situer les Mayas et les Aztèques dans le temps et surtout, les uns par rapport aux autres. Leurs rivalités internes, et leurs différences, si bien incarnées ici par les langues, sont d'une richesse à laquelle je ne m'attendais pas. On y découvre aussi une hiérarchie, un système politique complexe et des liens avec les conquistadors beaucoup moins simplistes que prévu, qui va mêler conquête barbare et tentative de conciliation hypocrite. Le renversement du point de vue est d'ailleurs si efficace qu'il n'hésite pas à présenter les européens comme des gens sales et sans aucune éducation, là où le peuple amérindien par des détails sur l'hygiène ou la sexualité parait bien plus évolué.
La protagoniste m'a beaucoup émue. Je sais les libertés que ce livre prend avec l'histoire de ce personnage controversé. Mais j'ai trouvé très intéressante l'idée de la présenter comme quelqu'un qui cherche avant tout à saisir les opportunités pour s'en sortir avec un unique but: rentrer chez elle. Les moments où cela fait d'elle une traitresse, une collaboratrice de l'envahisseur, ainsi que les doutes et l'isolement qui en résultent, sont poignants. Et surtout, ce parti pris de présenter la langue, ou plutôt les langues, comme fil conducteur à son ascension que est aussi sa déchéance suivant si on la considère de l'un ou l'autre côté de la frontière, est brillant. Là où elle participe, en tant qu'allié d'Hernan Cortès, à la colonisation, elle est aussi celle qui peut éviter l'utilisation des armes par celle de la parole et du dialogue. Tout est ambigu, à double sens, et plein de nuance.
Chaud et précis, le dessin est sublime. Mettre en image ces civilisations que nous connaissons si peu était risqué. Pari réussi, non sans une petite touche de dérision très appréciable lorsqu'il s'agit de montrer par exemple la puanteur des colons. Explicites et sans tabous, ils nous montrent une réalité très crue sans sombrer dans le sordide. Et surtout, ils mettent en image les dialogues incompréhensibles, par des bulles pleines de symboles étranges, afin de nous plonger visuellement dans ce monde bruyant mais muet. Les phylactères se superposent pour plonger dans toutes les srates de la parole. Vraiment très efficace.

La note de Mélu:

coup de coeur 2

 

Un mot sur l'autriceAlicia Jaraba Abellan (née en 1988) est une autrice et illustratrice espagnole.

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Commentaires
A
Je t'avais bien dit que c'était une super BD !
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