L'expérienceur - Lorris et Marie-Aude Murail

Lucie est morte dans un accident de parapente. Même si son corps n'a jamais été retrouvé, la police a classé l'affaire. Mais Théo ne parvient pas à faire le deuil de sa femme. Dix mois après son décès, il sent encore partout sa présence autour de lui: bruits de pas, main sur son épaule... Il croit devenir fou. Jusqu'à ce qu'il decouvre chez lui un livre sorti de nulle part, emprunté dans une bibliothéque où il n'a jamais mis les pieds. Ce livre parle des EMI, de ces gens qui ont approché le tunnel de lumière de la mort et qui en sont revenus. Ecrit par un certain professeur Delmotte, médecin à la clinique de Digne-les-Bains, là où Lucie a eu son accident. Alors Théo décide de faire des recherches: quelque chose lui échappe encore dans la disparition de Lucie.

Comme souvent, les romans de Marie-Aude Murail sont addictifs. Le rythme est soutenu, le suspens entier, les histoires se croisent et se décroisent pour un résultat d'une fluidité absolue. Et comme souvent, les rôles des enfants sont d'une grande complexité. Ici, ce sont des gosses un peu paumés qui ont d'abord le rôle de témoins de l'accident. Quelle est leur part de responsabilité dans ce qu'ils ont fait, dit ou tu, c'est difficile à dire. Ils semblent accessoires, secondaires et pourtant, tout reviendra par eux. A commencer par Iosef, le petit medium, celui qui prétend voir la mort des autres et le tunnel par lequel ils passent. Dit-il vrai ou n'a-t-il trouvé que cela pour que quelqu'un prenne soin de lui? L'habileté narrative est très efficace.
Le personnage de Théo, lui aussi, est particulièrement touchant. Mari inconsolable et infirme que tous essaient de dérider, déterminé à savoir la vérité, il tient le rôle d'un Orphée des temps modernes. Car c'est bien à la réécriture de ce mythe que ce roman s'attaque. Elle est morte, il ne l'accepte pas, la voit partout et va aller la chercher, bien conscient qu'aucun vivant ne peut impunément traverser le Styx. Sa détermination à toute épreuve, et les trafics glauques qu'il va mettre au jour sont saisissants. Le roman n'hésite cependant pas à tordre le cou à quelques clichés, comme par exemple le jugement moral trop rapide en temps de guerre, toujours délicat, ou la fascination morbide de l'esthétique gothique, à l'origine de quelques quiproquos savoureux.

La note de Mélu:

Un mot sur les auteurs: Lorris Murail, décédé en 2021, est un écrivain jeunesse moins connu mais pas moins prolifique que sa soeur, Marie-Aude Murail (née en 1954). D'autres de ses oeuvres sur Ma Bouquinerie: