Le tableau dont je vais vous parler aujourd'hui n'a pas d'auteur défini: on parle d'une exécution par l'école française de peinture du XVIème siècle ou école de Fontainebleau, autrement dit d'une multitude d'artistes rassemblés à Fontainebleau depuis François Ier pour doter la France d'une luxuriante création artistique. J'ai décidé donc de vous parler de ce tableau, représentant Gabrielle d'Estrée et sa soeur.

Hum, vous vous dites que je vais encore vous démontrer qu'il s'agit d'un tableau avec des coquineries cachées un peu partout, hein? Et bien pas du tout. Commençons par le début: Gabrielle d'Estrée se trouve sur la droite. Il s'agit de la maîtresse favorite du roi Henri IV. Pour ceux qui comme moi ont un peu de mal à situer l'histoire de France, Henri IV est le grand-père de Louis XIV, un roi connu pour sa grande popularité, sa conversion peu crédible au catholicisme et l'édit de Nantes autorisant le protestantisme en France (ce même édit révoqué par son solaire petit-fils). A cette époque, Henri IV, marié à Marguerite de Valois (la célèbre Reine Margot d'Alexandre Dumas) mais affiche ouvertement sa relation extra-conjugale avec Gabrielle qu'il traite comme une reine aux yeux de la cour. Sur le tableau, les deux femmes sont au bain, et le geste de la soeur de Gabriel a un sens bien précis: Gabrielle d'Estrée est enceinte. Le tableau a donc une valeur documentaire très importante, puisqu'en effet, à cette époque devait naître le premier des trois enfants illégitimes du roi et de sa favorite. Profitons-en d'ailleurs pour remarquer à quoi ressemblait une baignoire à la fin du XVIème siècle.
Alors, purement et innocemment évènementiel, ce tableau? Et bien pas tant que ça. Si vous regardez les deux femmes, vous remarquerez que toutes deux ont exactement la même couleur de peau, la même morphologie. Normal, me direz-vous, elles sont sœurs. En réalité, les corps de ces deux femmes sont complètement idéalisés selon les canons de beautés de l'époque, et à l'époque, il faut avoir la peau très blanche, imperceptiblement rosée, le cou long, la tête petite, les seins menus, les hanches larges. Et être blonde, blond cendré d'ailleurs. Si Gabrielle d'Estrée correspondait plus ou moins à ces critères, il va sans dire que le peintre les a mis en avant. Et surtout, le portrait de Gabrielle fourmille de clichés d'un genre bien pratiqué à l'époque: la dame à sa toilette. Genre extrêmement codifié s'il en est: la dame à sa toilette doit être nue mais parée, saisie dans son intimité mais auréolée de la présence de Vénus, déesse de la beauté et de l'amour. Et ici, vous avez tout: Gabrielle est certes au bain, mais parfaitement coiffée et portant encore d'énormes perles aux oreilles, et elle choisit ou ôte une belle bague. D'ailleurs ces deux bijoux sont à double sens: la bague est un gage d'amour (présence de Vénus) et la perle est née dans un coquillage de nacre (comme Vénus). La présence de la servante cousant à l'arrière-plan nous indique que nous sommes dans une scène intime, domestique, malgré le regard des deux femmes qui plonge directement vers le spectateur comme si elles posaient: entre spontanéité et pose assumée. Même les mouvements des mains, maniérés et délicats, sont codifiés et se retrouvent sur de nombreuses toiles de l'école. Tout est fait pour présenter Gabrielle d'Estrée non plus comme une femme enceinte, mais comme une incarnation de Vénus dans toute sa beauté et sa sensualité, et il faut avouer que le geste de sa sœur s'accorde très bien avec cette seconde interprétation du tableau. Comme tous les portraits de l'époque, ce tableau marie donc à merveille fidélité et idéalisation, représentation et symbolisme. Et si vous ne me croyez pas quand je vous dis qu'il n'est que cliché, voici quelques exemples où vous retrouverez les mêmes éléments pêle-mêle avec une troublante ressemblance:

Autre représentation de Gabrielle d'Estrée et de sa soeur, regardez les mains...

Portraits de Diane de Poitiers, maitresse d'Henri II

Autres "Dame à sa toilette" (et non, ce n'est pas le même tableau)

Alors? Impressionné, hein?

Dimanche au musée n°16: Ecole de Fontainebleau

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