Dimanche au musée n°106: Jean-Auguste-Dominique Ingres

Oui, je commence à tourner en rond avec mes Dimanche au musée, au bout du plus de 100 Dimanches, je peine à trouver des oeuvres qui me font une impression suffisante pour vous en parler (appel à contribution, si vous avez des oeuvres préférées, je suis avide de nouvelles sensations!)

En attendant, nous revoilà avec Ingres (1780-1967) et sans violon. Voici Oedipe et le Sphinx:

Ultra-connu, ce tableau n’en est pas moins, grâce à sa facture très classique, un bel exemple de lecture guidée. Rappelons le contexte: A Thèbes, la reine Jocaste et le roi Laios ont eu un enfant, mais l’oracle prédit qu’il tuera son père et épousera sa mère. Ils l’abandonnent donc, et Oedipe grandit dans l’ignorance de qui il est. Apprenant l’oracle qui le frappe, il fuit sa famille adoptive croyant les protéger. Au détour d’un chemin, une altercation l’amène à tuer un vieillard: Laios est mort. Le voici arrivé à Thèbes, dont les portes sont gardées par le Sphinx, un terrible monstre qui pose à tous ceux qui l’affrontent une énigme. S’ils échouent, ils sont dévorés. S’ils réussisent, la main de la reine Jocaste et le trône de Thèbe est à eux. Vous voyez arriver la suite de l’oracle? Oui, mais il faut encore arriver à surmonter le dernier obstacle…

Voilà donc un Oedipe représenté dans toute sa gloire antique: nu, en pleine lumière, rehaussé d’une riche étoffe rouge, armé, un pied conquérant posé sur le rocher, penché en avant vers le Sphinx qu’il regarde franchement, le doigt interrogateur: il est en pleine réflexion, dans l’accomplissement de son exploit. Il occupe le centre du tableau, et on met un peu de temps à apercevoir le sphinx, dont la tête est complètement cachée dans l’ombre. Monstre qui tient de la femme, du lion et du dragon, ici, il est clair que c’est le buste féminin, outil de séduction, qui est placé devant les yeux d’Oedipe. L’horizon est complètement fermé, à l’exception de cette faille verticale qui dévoile Thèbes, la ville en sursis, seule source de lumière et d’air dans cette caverne étouffante.. Et comme si vous n’aviez pas compris que l’enjeu est mortel, un homme fuit devant le monstre, et des ossements et un pied de cadavre en bas à gauche rappellent qu’Oedipe est peut-être en train de vivre ses dernières secondes. Tension maximale. Tous les angles du tableau installent donc une ambiance inquiétante, qui n’arrive néanmoins pas à vaincre la présence lumineuse massive du héros.

Mais en préparant cet article j’ai découvert plus.  La signature d’Ingres, sur le rocher, présente une particularité: le N est inversé. Il s’agirait d’un code pour inviter le spectateur à joindre à ce tableau son reflet. Et là, que se passe-t-il???

Mamma mia! Mais nous sommes devant une tombe! Les deux pieds deviennent parfaitement symétriques pour nous dire clairement qu’un cadavre nous fait face. Une manière de rappeler à Oedipe (et aux hommes) que tout est vanité, particulièrement l’orgueil de vouloir échapper aux dieux? Quoi qu’il en soit, le Sphinx n’est quasiment plus sur le tableau, mais est remplacé par un autre animal non moins inquiétant: voyez-vous là haut cette tête qui plonge sur la scène? J’hésite entre un reptile et un rapace, perché sur la tombe, les pattes du Sphinx devenant ses appuis afin de mieux nous faire face.

Bluffant, non?

Comments

[Mélusine]

@ Lili Galipette: j'ai repoussé longtemps le moment de parler de cette oeuvre, que je trouve très lisible, assez simple et ultra connue... et finalement, en faisant quelques recherches on trouve toujours des choses à apprendre.

Merci pour tes suggestions, je file regarder ça:

[Lili Galipette]

Wahoo, merci pour cette lecture !! C'est impressionnant !



Des oeuvres que j'aime bien... Du côté des femmes, Marie Laurencin, Georgette Agutte, ...

Sinon Otto Dix ou Francis Bottero. :)