Dimanche au musée n°56: Otto Dix
Cette semaine, place à Otto Dix (1891-1969), un peintre allemand qui a vu une partie de son oeuvre brûlée par les nazis et cataloguée comme "art dégénéré". Vous avez probablement déjà vu ce tableau ultra célèbre dans vos livres d'histoire. Voici le Portrait de la Journaliste Sylvia Von Harden (1926).
Commençons par le modèle: la journaliste allemande représentée écrivait notamment des chroniques littéraires dans de grands journaux. Elle a également publié des recueils de poèmes. Une femme de lettres, donc. Lorsqu'Otto Dix la croise dans la rue, il affirme vouloir la peindre car elle est représentative d'une époque. Regardons-la donc de plus près. Attablée dans le coin d'une pièce qui semble être un bar, un cocktail devant elle, une cigarette à la main et l'étui prêt à en offrir d'autre, les jambes croisés, cette femme est représentée dans une attitude toute masculine pour l'époque. Fumer et boire sont en effet des attributs très masculins. Tout d'ailleurs dans ce personnage suggère le mélange des genres: elle porte une robe, mais informe et trop courte. Des bas, mais ils retombent comme une vulgaire chaussette. Du rouge à lèvre, mais un monocle et des cheveux courts. Ses traits d'ailleurs n'ont rien de féminin: anguleux, au nez trop grand et aux yeux cernés, ils l'enlaidissent considérablement. Loin d'avoir voulu représenter une femme, on a voulu représenter un personnage avec ses spécificités, une femme émancipée de la condition féminine, intellectuelle et provocatrice tout en mettant en avant la nonchalance et le naturel. Miroir caricatural d'une évolution des mentalités, Otto Dix l'avait lui-même voulu comme représentatif de son époque. Voici ce que Sylvia Von Harden raconte de sa rencontre avec le peintre, dans une rue de Berlin:
- Je dois vous peindre ! Il le faut absolument !… Vous représentez toute une époque !
- Vous voulez donc peindre mes yeux sans éclat, mes oreilles biscornues, mon nez long, ma bouche mince; vous voulez peindre mes longues mains, mes jambes courtes, mes grands pieds, des choses qui ne peuvent qu’effrayer les gens et ne réjouir personne?
- Vous vous êtes caractérisée de manière extraordinaire et le tout donnera un portrait qui représente une époque, qui ne s’attache pas à la beauté extérieure d’un femme mais bien plus à sa condition psychologique.
Une femme émancipée, certes. Une femme laide et assumée, cela me plaît aussi. Une portée politique, peut-être. Ceci dit, je me demande si j'adhère au message selon lequel il faut enlaidir une femme et la grimer en homme pour qu'on accepte de considérer ses qualités politiques et intellectuelles.
Pour nourrir votre réflexion, voici une photographie de Sylvia Von Harden:
Ce tableau est tellement connu qu'il a fait l'objet de nombreuses parodies, citations et détournement. Pour continuer sur ma réflexion sur l'image féminine, je vous livre un de mes préférés, signée Jocelyne Grivaud.
Qu'en pensez-vous?