Dimanche au musée n°21: Albrecht Durer
Cette semaine, je délaisse un peu les tableaux traditionnels pour vous parler d'une gravure très connue exécutée par le non moins connu Albrecht Dürer (1471-1528). Ce peintre et mathématicien allemand a exécuté de nombreux autoportaits. Mais la gravure dont je veux vous parler aujourd'hui s'intitule Melancholia.
Une petite précision sur la technique de la gravure, qui m'a toujours laissé un peu perplexe. Si à l'origine il s'agit bien d'obtenir un motif en gravant une surface, on obtient généralement le dessin final en encrant cette surface et en l'appliquant sur un papier.
Le dessin que nous avons là représente ce qui est à l'époque un symptôme médical: la mélancolie désigne en effet un excès de bile noire, qui provoque des troubles du comportement, l'équivalent de ce qu'on appellerait aujourd'hui la dépression. Par extension, la mélancolie désigne ce caractère sombre, un peu névrosé, en marge d'un monde qui ne convient plus. Ici la mélancolie est représentée sous la forme d'un ange assis au milieu d'un immense désordre, le menton appuyé dans la main, désoeuvré, déçu, le regard dans le vague. Toute la force de cette gravure tient dans cette figure sacrée, pure, intouchable, qui devient là aussi réelle et matérielle qu'un humain, dans une posture plus que naturelle, image même du désespoir et du découragement. Si même les anges baissent les bras... Le noir et blanc rend ce paradoxe encore plus frappant, plus brutal. Bourrée de symboles, cette gravure pourrait être décodée pendant des heures: balance, sablier, carré magique sont autant d'éléments à interpréter, qu'il s'agisse de la douloureuse perception du temps, de la justice ou de l'ésotérisme du monde. C'est moins cela qui m'intéresse que cette dégradation d'une figure sacrée par un mal proprement humain, celui du rejet du monde, qui deviendra un des symboles de l'homme moderne. Notons enfin que l'Ange jette un regard à la fois distant et tendu vers cette étoile lumineuse et lointaine et cette arche, en haut à gauche, derniers symboles du divin dans ce chaos.
Ce n'est bien sûr que mon interprétation, et je vous laisse libre la votre. Mais force est de constater que cette gravure interroge. Et vous?