Vingt-quatre heures de la vie d'une femme
L'auteur: Stefan Zweig (1881-1942) est un écrivain autrichien juif "par le hasard de sa naissance". Il est un des écrivains dont les oeuvres ont subi un autodafé en 1938.
Le livre: Scandale dans une pension de famille "comme il faut": madame Henriette, la femme d'un des pensionnaire, vient de s'enfuir avec un jeune homme qu'elle ne connaît que depuis quelques heures, abandonnant mari et enfant. Fustigée pour immoralité par les autres pensionnaires, elle trouve cependant grâce aux yeux du narrateur, qui attire ainsi l'attention d'une vieille dame anglaise qui va lui raconter comment, il y a longtemps, elle a aussi vu basculer sa vie par une passion foudroyante, en l'espace de vingt-quatre heures.
Très vite lu: une écriture soignée et directe. Le roman va droit au but: jamais on ne saura ce qu'est devenu madame Henriette. Ce n'est pas le propos. La possibilité pour une femme, en toute moralité, de se jeter à corps perdu dans une passion irraisonnée, fulgurante, là est vraiment ce que cherche le narrateur. Mérite-t-elle ou non le respect, la considération? La confession de la vieille dame veut lui apporter des réponses. A noter qu'il n'y a pas qu'elle, dans son histoire, qui est victime d'une passion aliénante: le jeune homme qu'elle voulait suivre l'a aussi brisée à cause de sa propre passion qui lui a fait perdre le sens.
Un peu trop bref à mon goût, mais efficace. Je lirai peut-être bientôt Le Joueur d'Echec.
Titre original: Vierundzwanzig Stunden aus dem Leben einer Frau (traduit de l'allemand).
La Note de Mélu:
Le film: en 2003, une adaptation signée Laurent Bouhnik sort sur les écrans français. Le scénario a été quelque peu modifié puisqu'il s'ouvre sur une dispute entre une jeune fille, Olivia (Bérénice Béjo) et son petit ami. La dispute est interrompue par Louis (Michel Serrault), un vieux monsieur qui propose de raccompagner une Olivia un peu paumée. De fil en aiguille, il lui raconte son enfance: dans ce même hôtel où il loge, alors qu'il était adolescent, il a assisté à la fuite de sa mère dans les bras d'un inconnu; furieux, il a néanmoins accepté d'écouter l'histoire de Marie Collins-Brown (Agnès Jaoui), une femme qui, vingt ans auparavant, a elle aussi succombé à une passion irrepressible pour Anton (Nikolaj Coster-Waldau), un homme qu'elle venait de rencontrer.
Quelques modifications, donc, mais plutôt heureuse: d'abord parce qu'avec ces trois niveaux temporels, il y a en réalité trois films en un: les trois histoires ont chacune leur propre scénographie, leur propre manière de filmer, leur propre style de costume, leur propre jeu de lumière, leur propre univers. Ensuite parce que le téléscopage des époques amène une comparaison: les deux femmes qui plaquent tout du jour au lendemain vivent dans des époques cosetées qui les enferment dans les convenances ou dans leur rôle de mère et d'épouse. La jeune Olivia est une fille moderne, et pourtant, elle recherche la même chose que les autres : un sens à ses actes, quelque chose d'intense, se sentir vivre. Profond, le film n'en est pas moin prenant: le monde du casino, dans lequel se déroule une bonne partie de l'action, est filmée avec une rare intensité qui donne tout son sens dramatique à cette pratique. Visuellement, le film est superbe, tant en couleurs qu'en choix des plans: subjective et intimiste, la caméra nous invite à entrer dans le coeur de ses personnages exactement comme Zweig aimait à disséquer les passions.
Une franche réussite pour moi.
Pour le plaisir, une petite capture d'écran du plan qui m'a le plus marqué dans ce film, l'entrée de Marie dans le Casino: